Col à Boyaux

2013

Conférence-performance 20min

Images Greg Clément

Texte de la performance Lisa Mazzone

Musique Mathieu Epiney

A la genèse du projet, il y a le vélo comme vecteur commun. Après une virée solitaire et pluvieuse de la Bretagne à Londres pour la “Tweed Run”, la rencontre professionnelle avec Lisa et l’écoute du banjo de Mathieu à l’atelier naît la proposition, de se rendre à Paris en trois jours, sans bagages, pour la fameuse «Béret-baguette». Nous terminerons l’épopée en duo, vers la Toscane et ses pistes blanches pour l'”Eroica”.

De la légèreté du périple, au sens propre comme au figuré naît une véritable réflexion sur la forme du voyage à vélo. Loin de la méditation tao, le voyage est source de discussions culturelles de liens entre l’écriture, la musique, l’histoire du cinéma et de la photographie. La beat generation, l’empressement de Kerouac, son lien à la musique, les bandes de motard de «Wild One» l’autodérision des films «Le vélo de Ghislain Lambert» et «Parpaillon» et leur protagonistes mythiques sont nos compagnons de route. Nous nous félicitons de cette entreprise arrachée à l’emprise effrénée de nos vies citadines et son temps si optimisé. Malgré le côté fictionnel de la proposition, nous choisissons le « café des voyageurs »- concept fondé par Claude Marthaler où un-e conférencier-ère vient parler de son voyage à vélo – comme monstration unique.

Il me jette nonchalamment une roue trop ronde pour moi. Je m’empresse de l’emporter. Je lui aménage un nid dans ma couche et me blottis dans ses rayons. Elle ne sera qu’à moi celle-là. C’est mon joyau. Et rapidement on s’apprivoise. Quand tous les feux sont au rouge, que la troupe s’essouffle dans les ronflements, je suis là, sur la piste, avec elle, les bras au ciel. C’est une romance en forme de tango. Mon numéro s’échafaude pour le grand soir. Il est imminent, je le sens.

Premier lacet, un rayon saute, Deuxième lacet, une vis me quitte, Troisième lacet, la selle craquèle, Quatrième lacet, un câble dégomme, Cinquième lacet, mes gommes déchantent, Sixième lacet, c’est le fer qui se morcèle, Septième lacet, enfin le sommet !

9-f

Les pales des hélices dictent le rythme. Inspiration, un tourbillon dans le ventre, expiration, une battue sous la gorge. Circonvolution après circonvolution, j’attrape la cadence pour gravir l’atroce montée. Tranquillement, je prends le dessus ; c’est moi la plume de l’histoire, désormais, et mon acolyte, petit à petit, pâlit dans le décor. Déjà son souffle crachote, comme une locomotive en bout de piste, il tousse et maugrée, le malheureux. C’est que le soir, dans sa solitude, les bouteilles il les collectionne, et vides. Alors à force, leur contenu déteint sur ses traits, et c’est pas très malin.

« Porca miseria », c’est le cri déchirant d’un coureur dont le boyau vient de se faire la malle. Un concurrent de moins.

Sur la tête, il portait un béret à carreaux et dans le regard un voile, comme s’il se trouvait ailleurs, déjà plus loin, déjà des années plus tard. L’enfant s’enticha du véhicule, s’accrocha à ses boyaux, et ne lâcha pas l’étranger d’une semelle. Alors, les villageois lui donnèrent le surnom d’Hérance, car ce voyageur prétendait avoir remonté le temps en passant par un col du même nom.

Le brouillard se dissipe et l’avenir se découvre. D’abord c’est une note qui parvint dans l’oreille d’Hérance. Avant que l’instrument ne lui tape carrément dans l’oeil ; une caisse à corde, qui résonna dans sa poitrine et la rappela à la route. Hérance secoua son esprit et ramassa son cycle. L’heureux troubadour semblait lui montrait le chemin. Ses cadences rebondissaient à l’arrière de son crâne, comme un écho sur les sommets, et elles lui parurent familières. Il lui semblait qu’elles avaient baigné toute son errance, pourtant elle les entendait pour la première fois. Elle suivit le génie apparu comme une vision, enivrée par sa musique

Comme un saut dans le vide, c’est parti, la descente se déroule à vive allure. J’en ai oublié mon mentor, peut-être même que je l’ai abandonné à son sort. Est-il triste ? Pas pour autant, la machine révolutionnaire se répand et gagne du terrain ; c’était là son dessein. Grisé par le vent, emporté par le dénivelé, je tutoie des pics de vitesse jamais égalés. L’air s’emplit d’un épais brouillard, je roule au hasard des virages. Un bourdonnement se fait entendre au loin. Il se rapproche, et soudain, ce sont des dizaines, des centaines, des milliers de cyclistes qui me défient, au coude à coude. Ils arrivent d’un bloc, dans une nuée de cliquetis et de « forza » lancés au ciel. Rien ne reste sur leur passage, si ce n’est résidus en plastique, les cadavres de gels énergétiques.